Transformation de l’agriculture au Sénégal: éternel recommencement ? (1)


Ce titre semble sonner comme une certaine provocation. Mais ce n’en est pas une, mais plutôt, voyez le comme une déclaration disant que le système dont je veux aborder ici ne marche pas. Loin d’être complaisant, puisque que moi-même faisant partie de ce système, cet analyse me permet ainsi d’assumer ma pleine responsabilité, puisque quelque part nous n’avons pas su peut être proposer des alternatives à ce système qui perdure et qui tarde à donner des résultats probants à l’agriculture sénégalaise. Je veux ici avant de continuer que tout acteur de l’agriculture que nous sommes puissions déclarer que le système ne marche pas et qu’il est légitime de se demander à côté du slogan tant usité d’agriculture pilier du développement » et tant d’autres milliards investis dans ce secteur qu’on puisse parler en l’an 2015 encore d’autosuffisance alimentaire, de sécurité alimentaire…La trajectoire de ces concepts en dit long sur la situation de notre agriculture. Passer d’autosuffisance à sécurité alimentaire semble être une avancée notoire dans l’éclaircissement et la meilleure définition de notre vision de l’agriculture. Mais hélas, il traduit plutôt une quasi absence de l’intellect africain en général et sénégalais en particulier dans ce que j’appelle la contextualisation des concepts et le maintien de la pensée critique autour des questions agricoles. L’on répète souvent à tort que les sénégalais sont friands de théories et non de pratiques. Je dis non, le simple fait que tous ces concepts soient empruntés est la preuve irréfutable de la fausseté d’une telle assertion. Nous réfléchissions ,dans une logique très "court-termiste", plus que nous ne théorisons et dons pensons. Le drame dans tout cela c’est que par là même nous empruntons notre vision. Et pour résumer la conséquence d’une telle démarche et qui résume à son tour le grand problème de l’agriculture sénégalaise : c’est que nous avons trop longtemps délégué la tâche ô combien laborieuse du développement agricole aux autres. Et dans le même temps avons mis plus de temps à se chercher une place dans ce secteur qu’à trouver de réelles stratégies pour son développement.

J’ai participé au mois d’octobre dernier à la conférence Dak Agri2015. Ce n’est pas le lieu ici de décrier la mauvaise organisation de l’événement, d’autres l’ont déjà fait mieux que moi. Mais cet exemple me parait intéressant afin d’aborder ce statut quo de la situation de l’agriculture. Ayant participé plutôt en 2012 à la conférence Dakar Agricole 2012, je me suis rendu compte que ce sont les mêmes thématiques qui sont revenues ainsi que les mêmes résolutions que les autorités présentes ont tenu de faire vœu sacré. Il est avéré que recherche et capitalisation des résultats ne font pas très bon ménage au Sénégal. Sinon comment comprendre qu’en 2015 nous éprouvions les mêmes problèmes qu’en 2012. Où sont passées ces résolutions de 2012 ? Qui était chargé du suivi ? Avons-nous pensé à tous ces milliards investis ? A tout ce temps perdu pour au finish accoucher de plus de problèmes que de solutions ? La nécessité d’évaluer l’efficacité de toutes ces rencontres me parait alors plus que d’actualité. En vérité, les objectifs qu’on se fixe souvent pour ces événements relèvent d’un faible contentement. En effet, nous nous suffisons du peu puisque dans la conceptualisation comme dans le déroulement de tes événements il y a à bien des égards beaucoup d’incohérences. A mon avis, lorsque nous organisons ces conférences ce n’est pas seulement pour réunir des experts d’untel domaine et où chacun essaiera à son aise d’impressionner chacun mais bien plutôt de faire en sorte qu’au sortir de ces débats que tous les participants fussent t-ils de près ou de loin impliqués dans le secteur agricole puisse s’abroger un rôle dans la mise en œuvre des résolutions qui en découleront. Ceci voudra dire que l’on cessera cette pensée tout le temps conditionnée avec l’usage répétée de formules telles que « il faudrait, on devrait » . Puisque le drame avec une telle démarche c’est qu’à la fin on risque de ne plus savoir qui doit faire ce qu’il faudrait. Ces rencontres permettent de décliner notre feuille de route pour le développement agricole ; le résumer alors à cette pensée conditionnée ou l’évocation simple de potentialités ne serait qu’une vulgaire erreur.

Pour en revenir sur la conceptualisation de l’agriculture, plusieurs amis m’ont posé la question de savoir comment avec autant d’ONG et de milliards investis, l’agriculture au Sénégal ne puisse décoller. Plusieurs fois, la question me parut difficile à aborder et à répondre surtout sur les médias sociaux où s’épancher sur plusieurs lignes peut être lassant. J’avais écrit, en guise de début de réponse un article sur l’encadrement des ONG intervenant dans le secteur agricole http://www.voicesofyouth.org/fr/posts/mieux-encadrer-les-interventions-des-ong--5. Cet encadrement que j’évoque ici ne se voudrait nullement comme un appel à une quelconque reprise en main totale du secteur agricole par l’Etat mais d’en appeler à plus de responsabilité de sa part. C’est-à-dire cette indépendance à conceptualiser, décliner, et mettre en œuvre sa politique agricole. Sur ce point, je suis étonné et choqué à la fois qu’en l’an 2015 nos ministres ne soient pas agacés de dire à chaque fois qu’on parle de développement agricole de financement de tel ou tel organisme. Serait-ce que nous soyons incapables de guider notre propre vision du développement agricole? Cette vision ne se décline certainement pas en un ou deux ans mais est le fruit d'une réflexion profonde impliquant tous les acteurs du secteur agricole notamment ceux à la base.
Pour en revenir sur l’inefficacité des ONG et autres partenaires au développement, c’est que dans la plupart des cas on a voulu recréer la roue. En effet, dans leurs zones d’intervention, l’on ne cherche pas souvent à appuyer les initiatives des populations locales déjà en cours mais à les imposer des projets et programmes pouvant fortement contraster avec leurs réalités. Ces populations sembleront certes jouer le jeu et adhérer aux projets. Ces insuffisances ne sortiront surement pas au moment de l’évaluation. Puisque qu’ayant investi des milliards on n’acceptera pas que les résultats ne soient pas tous au vert.

A un moment donné, ayant suivi la sortie du ministre pour chanter les productions record de cette année, j’ai voulu reposer ma plume et ne pas publier cet article. Il est vrai, que ces chiffres peuvent surprendre plus d’un, même pour l’averti que je suis. Et qu’ils peuvent par la même me placer dans une certaine euphorie. Il apparaît alors très légitime de se poser la question de savoir : que vaut une importante production si celle-ci n’est pas totalement valorisée? Là encore, le faible contentement revient. Tout ceci ayant pour corollaire une faible valorisation des produits agricoles. En effet, une augmentation de la production agricole ne signifie nullement un développement agricole, il faut avant tout s’assurer que cette production soit transformée non seulement pour éviter les pertes  mais aussi pour donner de la valeur à ce que nous produisons. Cette croissance de la production agricole ne profitera dès lors ni aux agriculteurs, ni à la population frappée par la cherté des denrées de première nécessité encore moins aux investisseurs privés locaux. Lorsque vous choisissez de vendre votre production agricole sans aucune transformation vous brisez immédiatement le cycle de création de valeurs des produits agricoles. L’agriculture sénégalaise comme la plupart des agricultures des pays subsahariens n’est pas encore ancrée dans une logique industrielle. Or c’est exactement cette dernière qui révolutionnera tout, qui départira le producteur de ce faible contentement. C’est-à-dire cette attitude à ne s’intéresser qu’à la quantité de la production sans pour autant s’assurer que votre production puisse être écoulée de sorte que l’activité soit rentable. Cette même attitude qui anime les gouvernants lorsqu’ils s’épanchent sur les productions record au moment où cette production subit une faible transformation.

Revenons aux chiffres record. Je disais dans un post récent ne pas comprendre ce mutisme qui caractérise les agronomes du Sénégal. L'actualité agricole appelait justement à ce que ces "sachants" du domaine puissent interroger ces chiffres, leurs implications, ce paradoxe entre cette production record d'arachide et les difficultés éprouvées par les industriels pour le trouver sur le marché...Faut-il alors penser à un changement dans les circuits de commercialisation? Quelle place la transformation artisanale d'arachide prend t-elle? Autant de questions que j'espère élucider au cours de mes prochaines investigations. 

PS : Le (1) à la fin du titre de cet article signifie tout simplement que cet article n'est qu'un extrait d'une longue réflexion sur le secteur agricole ainsi que ses évolutions. L'objectif ici n'étant pas de provoquer ou encore de discréditer toute personne ou organisation évoluant dans le secteur agricole. Nous pensons apporter autant que faire se peut notre contribution pour que le débat agricole émerge.



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